Telecom Review a interviewé, en exclusivité, Youssef Mrabet, CTO, Afrique du Nord et de l’Ouest chez Nokia. Mrabet qui a partagé de nombreuses réflexions sur les avantages et défis de la 5G pour les opérateurs, consommateurs, et sur la manière d'éviter les fuites de valeur ainsi que sur l'importance de la numérisation.
Comment les opérateurs peuvent-ils exploiter correctement la 5G et éviter les fuites de valeur ?
Dès que les services internet mobiles ont commencé à se développer, les prémisses d’une déperdition de valeur chez les opérateurs ont commencé à se dessiner à cause du succès grandissant qu’ont connus ces services souvent gratuits et mondialement accessibles. Cette menace continue de peser sur les opérateurs qui risquent d’être cantonnés dans un rôle utilitaire de transport des données.
La 5G prévoit une transformation profonde des réseaux mobiles et fixes et incorpore les mécanismes pour différentier les services de bout en bout afin de rendre possibles de nouveaux cas d’usages adressés tant aux consommateurs, qu’aux entreprises et même aux industries. Les réalités virtuelle/mixte/augmentée, les voitures autonomes ou l’automatisation des opérations minières, à titre d’exemples, nécessitent une latence très basse, la capacité de connecter massivement des capteurs, ou encore une assurance de bout en bout de la qualité de service.
Ces nouveaux cas d’usage ne se satisfaisant pas des très hauts débits pour fonctionner correctement, les différents prérequis technologiques de la 5G ont été répartis en trois catégories afin de pouvoir répondre aux besoins actuels et futurs :
- eMBB : Extreme Mobile Broadband, très hauts débits descendants mais aussi ascendants, et capacité massive à servir beaucoup plus d’utilisateurs.
- URLLC : Ultra reliable low latency communication, réseaux ultra fiables et la possibilité de drastiquement réduire la latence.
- mMTC : massive machine type communication ou communication massive de type machine.
Se trouvant à la croisée de la technologie et des impératifs imposés par les services, les opérateurs peuvent capitaliser sur leurs atouts, tels le spectre radio ou l’expertise technologique et opérationnelle afin de se positionner autrement sur la chaine de valeur de ces nouveaux cas d’usage et/ou services.
Quels sont les défis auxquels les opérateurs de la 5G sont confrontés en termes de sensibilisation des clients, de pertinence pour l'opérateur et d'orientation stratégique ?
Comme avec les précédentes générations mobiles, que ce soit du point de vue des abonnés ou du positionnement des opérateurs, beaucoup d’attention est instinctivement portée sur les débits. Or, l’augmentation des débits constitue désormais une évolution naturelle des usages et ne justifie plus une revalorisation du service.
S’agissant de 5G, les opérateurs doivent donc s’assurer qu’au sein de leur organisation, il existe une bonne conscience des opportunités qu’elle offre et de la manière avec laquelle le réseau doit évoluer pour les adresser. C’est dans ce but par exemple, que Nokia Bell Labs a développé des programmes de certification dédiés à la 5G.
Afin de se positionner stratégiquement, il est donc impératif, non seulement d’adapter les organisations, et faire évoluer les outils, mais aussi de développer de nouveaux business models (modèles d’affaires) et mettre en place les partenariats nécessaires pour offrir les cas d’utilisation demandés par les entreprises et les industries.
D’un point de vue technologique, une modernisation holistique du réseau et de son architecture (aux niveaux Radio, Cœur de réseau et Transport) est nécessaire pour tirer parti du potentiel de la 5G. Tout autant que les systèmes de support opérationnels qui évoluent vers l’automatisation ou les systèmes de monétisation adaptés aux nouveaux services 5G.
Outre la vitesse et la faible latence, quels sont les nouveaux avantages que la 5G offrira aux consommateurs ? Et quelles seront leurs perspectives ?
L’ « extreme mobile broadband » (eMBB) supporté par la 5G, se traduira pour les consommateurs, en une démocratisation des accès haut débit fixe grâce à l’accès fixe sans fil (FWA) qui sera plus facile à déployer et permettra de complémenter la fibre là où elle n’est pas viable économiquement. En Afrique, la pénétration de l’Internet fixe étant estimée à peine à 18% par l’IUT, ceci constitue une opportunité majeure pour le continent.
La tendance déjà bien établie de consommation des médias en ligne et en mobilité continuera d’évoluer vers de nouveaux types de médias dont la réalité virtuelle ou les jeux en ligne. Que ce soit à titre individuel, ou dans des événements collectifs ou de masse (concerts, rassemblements sportifs, eSports…) la qualité et le réalisme seront accrus grâce aux débits et au temps de latence améliorés.
Dans quelle mesure la 5G profitera-t-elle aux industries et à quels niveaux ?
Diverses industries (mines, ports, aéroports, usines) pourront bénéficier d’une digitalisation accélérée des opérations afin de booster leurs performances et de se positionner mondialement. L’amélioration de l’efficience et de la sécurité, ainsi que la réduction des coûts passent par la simplification voire l’automatisation des processus qui repose sur la mise en place de réseaux de télécommunications très performants, fiables et flexibles. La 5G est la première génération conçue avec les prérequis industriels en tête.
Cependant, à défaut de spectre et de capacité économique et/ou technique, la majorité des industriels, entreprises ou services publics ne peuvent pas construire de réseaux privés.
Et c’est ici que les opérateurs ont leur rôle à jouer. Avec la 5G, le concept de « Network Slicing » permet de créer des réseaux virtuels et de définir pour chacun, en fonction des besoins du cas d’utilisation, les prérequis précis auxquels il doit répondre parmi les trois catégories citées ci-dessus (eMBB, URLLC et mMTC). Ces réseaux sont aussi parfaitement ségrégés les uns des autres.
Nokia est leader mondial dans les réseaux privés avec plus de 340 références de par le monde, grâce à un portefeuille complet et à une expertise et des solutions adaptées aux différents segments verticaux.
Pouvez-vous nous donner quelques cas d'utilisation qui soulignent l'importance de la numérisation pour les opérateurs ?
Avec la crise sanitaire mondiale, la digitalisation a été accélérée dans plusieurs domaines : services (publics), commerce, éducation, etc., ce qui a permis au public de profiter de ses avantages, les transformant désormais en acquis. Des utilisateurs désormais habitués à ouvrir un compte bancaire en ligne ou à faire des courses depuis une application mobile ne conçoivent plus de se déplacer pour contracter un service ou d’appeler le service client pour la résolution d’un problème.
Dans ce sens les opérateurs ont plusieurs options qui ont prouvé leur efficacité pour encourager la fidélité des abonnés et augmenter les revenus :
- Digitaliser leurs canaux directs : marketing, commerciaux, et service client ;
- Converger les offres et les services fixes et mobiles et simplifier leur adoption ;
- Ouvrir leurs réseaux à des applications et services tierces, à l’innovation des startups ;
- Digitaliser leurs opérations et mettre au service de leurs clients des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle ou le machine learning, que ce soit en termes d’offres, de résolution proactive des problèmes ou de prévention des coupures de service.
La fracture numérique a été particulièrement accentuée sur le continent africain en raison de Covid-19. Quels sont les moyens disponibles qui permettent de réduire cet écart ?
L’accès au très haut débit et aux outils digitaux permet de réduire les écarts socio-économiques en traitant des problèmes de fond comme l’accès à l’éducation et à l’information.
Dans ce sens, il est particulièrement important d’œuvrer à ce que cet accès devienne universel. Particulièrement dans les zones rurales enclavées où la non électrification, les coûts et la difficulté de mettre en place des liaisons de transport de données, rendent difficile le déploiement du réseau mobile. Dans ce sens, Nokia travaille sans relâche avec ses partenaires opérateurs sur le continent afin de développer des solutions innovantes et économiquement viables pour les déploiements ruraux en fonction des contraintes locales de chaque pays.
Dans le cadre de notre programme de responsabilité sociale nous œuvrons aussi avec des organismes comme l’UNICEF en mobilisant des fonds et de l’expertise afin de booster la culture numérique dans le continent en connectant des écoles ou en supportant l’inclusion des jeunes.