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Dans une entrevue exclusive accordée à Telecom Review Afrique, Thomas Dudout, Directeur des Ventes Entreprises pour l’Afrique du Nord, Ouest et Centre, Nokia, discute la tendance croissante d’adoption des réseaux privés par les grandes entreprises dans le monde, et spécifiquement en Afrique. Ensuite, il a exploré les opportunités de croissance pour les opérateurs de télécommunications dans le segment B2B, ainsi que les recommandations pour adresser proprement cette opportunité. De plus, il a discuté la collaboration entre les opérateurs de télécommunications et Nokia pour fournir des solutions B2B innovantes à leurs clients en Afrique, et les avantages de ces collaborations pour les deux parties. Enfin, Thomas a abordé la question de l’allocation directe de spectre aux entreprises dans le cadre de la promesse de la 5G pour le monde des entreprises.

Il y a une grande tendance dans le monde en termes d’adoption des réseaux privés par les grandes entreprises. Comment expliquez-vous cette tendance et qu’en est-il de l’Afrique ?

Pour commencer, par « Réseau Privé », nous entendons tout réseau destiné à l’usage exclusif d’entités privées, d’entreprises ou d’entités gouvernementales. Ce concept de réseau privé n’est pas nouveau. En effet, certains organismes publics ou privés, tels que les organismes de sécurité publique, de défense, les télédiffuseurs, les énergéticiens, les transporteurs ferroviaires etc., ont toujours exploité des réseaux privés pour les besoins de leurs métiers. Souvent, ces réseaux sont des réseaux de transmission filaire, mais certains ont exploité des réseaux mobiles bas débit ou des réseaux données Wi-Fi. Ce qui est relativement nouveau, en revanche, c’est la transformation numérique des industries.

Dans le passé, la plupart des investissements dans la transformation numérique ont été réalisés par les entreprises de l’économie de l’information et de la communication et par les entreprises centrées sur l’informatique telles que les médias, les services Web, les services financiers et les éditeurs de logiciels. Ils ont contribué à 70 % de l’investissement numérique global et ont obtenu la plupart des bénéfices de cette transformation. La croissance de leur productivité a été quatre fois supérieure à celle des autres industries. Or, ces autres industries sont celles qui possèdent le plus d’actifs immobilisés. Ce sont les industries du monde réel qui travaillent avec beaucoup d'équipements, de machines etc. Ces entreprises représentent 70 % du PIB moyen et emploient 75 % de la main-d'œuvre globale. Apporter les bénéfices de la transformation numérique à toutes les industries conduira à une énorme création de valeur économique dans ce que nous appelons la révolution de l'industrie 4.0.

Le cabinet McKinsey estime que la création mondiale de valeur d’ici 2025 se situera quelque part entre 3,000 et 11,000 milliards de dollars. Le potentiel de la transformation digitale est incontestable. L’automatisation transforme toutes les industries, car les organisations aspirent à atteindre des niveaux plus élevés d'efficacité, de sécurité, de productivité et donc de compétitivité. L'internet industriel des objets (IIoT pour « Industrial Internet of Things ») crée des opportunités dans l'innovation des processus industriels et de nouvelles applications critiques pour optimiser les performances et la productivité des industries. Les industriels du continent ont bien compris l’importance de procéder à leur transformation numérique.

 Nous travaillons d’ores et déjà avec une multitude de grandes compagnies africaines sur plusieurs secteurs et les aidons à mettre en place leur plan de transformation. La transformation numérique des industries repose sur leurs besoins métiers. Ce sont ces besoins qui définissent les solutions à apporter par les acteurs technologiques. Il s’avère que ces besoins répondent généralement à des problématiques similaires : une connexion mobile de type mission-critique, sécurisée, à haut débit, à faible latence et l’accès à un écosystème non propriétaire. L’offre de réseaux mobiles privés de Nokia, basés sur la technologie 4G et évolutive 5G, normalisée 3GPP, répond parfaitement à ces besoins.

 Pour un grand nombre d’opérateurs de télécommunications, y compris en Afrique, le segment B2B est considéré comme un moteur de croissance. Quelles sont vos recommandations pour adresser proprement cette opportunité ?

Les opérateurs de télécommunications ont intégré depuis longtemps la nécessité de fournir une offre B2B et ont proposé des abonnements de flottes mobiles ou des services de liaisons louées à leurs clients entreprises. Les opérateurs s’organisent pour adopter de nouveaux modèles de vente de solutions plus complexes et personnalisées. Certaines grandes marques ont créé des filiales spécialisées dans la fourniture de solution intégrées complexes, et sont d’ailleurs des partenaires de Nokia dans la commercialisation de réseaux privés mobiles.

Les opérateurs ont non seulement un grand rôle à jouer dans la construction des réseaux mobiles privés mais aussi dans leur opération et leur maintenance : certains industriels n’ont en effet ni la capacité ni l’envie d’opérer ou maintenir ces réseaux et préfèrent se concentrer sur leur cœur de métier. Enfin, les réseaux mobiles privés offrent aux opérateurs de télécommunications l’opportunité de monétiser leur spectre dans des zones non urbaines pour capitaliser efficacement sur cette précieuse ressource. Notre recommandation aux opérateurs pour adresser ce marché serait donc d’aligner agilement leur offre technique et commerciale à la demande des industriels pour ces nouvelles tendances technologiques et de capitaliser sur leur forte valeur ajoutée dans la maîtrise technologique et opérationnelle des réseaux mobiles 3GPP.

Comment les opérateurs de télécommunications collaborent-ils avec Nokia pour fournir des solutions B2B innovantes à leurs clients en Afrique, et quels sont les avantages de ces collaborations pour les deux parties ?

Nokia est dotée d’une organisation commerciale, que je représente pour l’Afrique du nord, de l’ouest et du centre, dédiée aux grandes entreprises et aux industries, ce qui nous permet de promouvoir directement nos solutions innovantes auprès d’elles. Nous avons développé notamment une expertise par segment des métiers de nos clients. Ensuite, Nokia s’est dotée d’un programme mondial de partenariat et a spécifiquement décliné un programme dédié aux opérateurs de télécommunications (SPaaP pour « Service Provider as a Partner »).

Ce programme inclue la formation de nos partenaires, la gestion conjointe des engagements commerciaux, le support à l’ingénierie système, la gestion de la contractualisation des affaires et la livraison des projets. Les opérateurs ont des atouts énormes au-delà de leur compétence technologique et opérationnelle des réseaux mobiles, ils ont une attache locale forte, une force commerciale ancrée dans leurs marchés, ils adressent déjà par ailleurs ces clients, peuvent monter en valeur auprès d’eux et mutualiser leurs offres commerciales. Enfin, ils ont accès aux fréquences. Nokia quant à elle apporte une expertise technologique et industrielle à travers une connaissance approfondie des besoins des différents métiers, un portefeuille de solutions adaptées aux besoins des industries, un écosystème ouvert de partenaires et des références solides de transformations numériques d’industries à travers le monde. Nous bénéficions donc tous d’une approche conjointe, en particulier dans le développement de la 5G, dont les ressources énormes serviront prioritairement les entreprises. 

Justement, pour tenir la promesse de la 5G pour le monde des Entreprises, plusieurs pays tels que l'Allemagne ont opté pour une allocation directe de spectre aux entreprises. Pensez-vous qu’une même approche devrait être reproduite dans d'autres régions ?

Absolument ! L'allocation directe aux entreprises de spectre 5G mais aussi 4G, technologie qui répond très bien à la plupart des cas d’usages aujourd’hui, est une stratégie prometteuse pour permettre aux entreprises et aux opérateurs de télécommunications de bénéficier pleinement des avantages offerts par les réseaux mobiles privés. Cette méthode a été mise en place en Allemagne dans le cadre de l'initiative « Campus Networks » ou en France à travers le programme « Réseaux privés 4G/5G à usages industriels », elle offre aux entreprises un accès exclusif pour exploiter la 4G ou la 5G sur leurs sites. Grâce à cette approche, les entreprises peuvent bénéficier d'une connectivité haut débit et de solutions personnalisées pour répondre à leurs besoins spécifiques. Cette approche devrait être reproduite dans d'autres régions, en particulier dans les pays où les entreprises sont très actives et où la demande pour une connectivité mobile dédiée est élevée à l'instar des opérateurs miniers, des énergéticiens, des opérateurs de terminaux maritimes, des exploitants d’usines, des exploitants de plateformes logistiques etc. La décision d'allouer directement du spectre aux entreprises relève des régulateurs, et les régulateurs du continent ont pris un engagement dans ce sens lors de la conférence mondiale des radiocommunications 2019 (ITU WRC-19) de Charm el-Cheikh. Cette approche a un effet de catalyseur sur la transformation numérique des industries et donc permet d’avoir un impact bénéfique rapide sur l’économie, d’une part parce qu’elle génère des revenus additionnels pour les gouvernements et d’autre part parce que l’utilisation des réseaux mobiles privés comme on l’a vu plus tôt augmente la productivité des industries et donc leur profitabilité. Cela va aussi permettre aux opérateurs de télécommunications d’offrir des réseaux mobiles privés aux industries sans pour autant compromettre la qualité de leur service national rendu s’ils utilisaient les fréquences qu’ils possèdent déjà. Permettre une allocation de spectre aux entreprises bénéficie donc à l’ensemble des acteurs : les fournisseurs technologiques, les opérateurs, les industries et les Etats. Cependant, il est important de mettre en place des mécanismes pour gérer les défis tels que la gestion de l'interopérabilité et la coordination des fréquences entre les différentes entreprises et opérateurs. En fin de compte, cette approche dépendra des politiques réglementaires et de la disponibilité des fréquences dans chaque pays.